France : une ex-ministre appelle à surveiller les évangélistes en les comparant aux islamistes !
Laurence Rossignol a dressé un parallèle entre islamisme et protestantisme évangélique. Dans les quartiers, ce serait bien qu’on s’intéresse un peu à ce que font les évangélistes », a-t-elle indiqué… (photo : Pierre Perusseau/Bestimage)
article original : lci.fr
L’ancienne ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des Femmes était invitée ce mardi 15 octobre à s’exprimer sur la polémique autour d’une mère voilée, accompagnatrice d’une sortie scolaire au Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté. Mais le débat a glissé de l’islamisme à la critique de la mouvance évangélique.
« On est a juste titre très mobilisés sur l’islamisme, mais dans les quartiers, ce serait bien qu’on s’intéresse un peu à ce que font les évangélistes, a avancé Laurence Rossignol, qui sont largement aussi présents, moins visibles, très prosélytes et qui, eux, interviennent également sur le contenu des enseignements ».
Propos déplacés de Mme #Rossignol interrogée sur le #voileislamique d’une accompagnatrice en sortie scolaire:elle met soudain en cause les mères «évangélistes»dont le prosélytisme menacerait les enfants:aucun rapport avec la radicalisation! mais sourde obsession antichrétienne… https://t.co/DEVZSmJ4T6
— patriam servando (@patriamservando) 15 octobre 2019
Sébastien Fath est directeur du Groupe Sociétés, Religions, Laïcités (GSRL), un laboratoire de recherches du CNRS. Ce sociologue et historien des protestantismes pointe tout d’abord du doigt une erreur de vocabulaire : « on ne dit pas les évangélistes mais les évangéliques ». Ces derniers adhèrent à « une variante, aujourd’hui dominante, du protestantisme ».
« Evangéliste désigne généralement l’un des quatre auteurs des évangiles, soit Matthieu, Marc, Luc et Jean dans l’ordre canonique, précise sur son blog Philippe Golaz, pasteur suisse. Cependant, il est possible que vous croisiez aujourd’hui des personnes qui se disent évangélistes, et ce, surtout dans les églises évangéliques. Il s’agit-là de personnes dont le ministère est de poursuivre ce que les quatre premiers évangélistes ont accompli, à savoir annoncer la Bonne Nouvelle à ceux qui ne l’ont pas encore entendue. »
Les évangéliques sont passés de « 50.000 vers 1945 à 1 million aujourd’hui en comptant la France d’Outremer », soit 1,5% de la population, estime Sébastien Fath. Le Conseil national des évangéliques de France (CNEF) – qui représente plus de 70% des Églises évangéliques – nous explique que cette croissance s’est surtout opérée ces dernières années : « Actuellement, nous créons un nouveau lieu de culte tous les 10 jours. » Selon son décompte, nous sommes passés de 750 églises locales en 1970 à 2513 aujourd’hui. Et le CNEF a bien l’intention de poursuivre sur cette lancée : « Notre objectif est de compter une église pour 10.000 habitants, pour le moment nous sommes à 1 pour 30.000 » indique Romain Choisnet, directeur de la communication du Conseil.
Taux de pénétration des Églises évangéliques − CNEF
Cette croissance est particulièrement forte dans les quartiers populaires. « De nombreux évangéliques sont issus de l’immigration, comme ces populations sont largement présentes dans ces quartiers, cette croissance est particulièrement visible dans ces territoires », reconnait la CNEF. « En région parisienne, ces publics sont souvent issus des anciennes colonies françaises d’Afrique subsaharienne », abonde Sébastien Fath.
Des études sociologiques démontrent que « les enfants ou petits-enfants d’immigrés sont beaucoup plus religieux que la moyenne des Français, ajoute Sophie Gherardi, fondatrice du Cefrelco (Centre d’étude du fait religieux contemporain), or le protestantisme évangélique offre une vraie ferveur religieuse, quand le catholicisme par exemple parait ‘tiède' ». Un succès tel qu’une réelle « concurrence avec les plus prosélytes des musulmans s’est constituée dans les quartiers ». Les musulmans représenteraient ainsi 10 à 20% des nouvelles conversions, nous assure le porte-parole du CNEF.
« Cette croissance se retrouve également dans la France périphérique, la grande banlieue, comme en Seine-et-Marne, note Sophie Gherardi. La présence d’églises évangéliques en Ardèche et dans le Gard (visible sur la carte ci-dessus), a, elle, une raison plus historique, il s’agit de terres protestantes, ces églises ont remplacé une forme plus classique, moins moderne du protestantisme ».
Mais si une présence forte se confirme dans les banlieues françaises, cela signifie-t-il pour autant que des dérives radicales y sont visibles ? Pour ce qui est du prosélytisme, il s’agit d’un objectif revendiqué, même si le porte-parole du CNEF regrette que ce terme soit devenu « péjoratif ». Tout évangélique se doit « d’annoncer la bonne nouvelle ». Une campagne a même été lancée avec un slogan sans équivoque : « libre de le dire ». « Il s’agit de liberté d’expression et de liberté de religion », tient à souligner Romain Choisnet. Occuper tout le territoire français est d’ailleurs un but affirmé : « Nous avons créé une cartographie pour visualiser les territoires où une église évangélique est accessible à moins de 30 minutes, cela permet de visualiser les zones désaffectées à couvrir ».
Sophie Gherardi évoque de son côté « un essaimage ». « Quand une église fait le plein sur un territoire, les évangéliques vont en créer une autre et ainsi de suite ». Cette spécialiste des religions réfute pour autant toute forme de dérive, notamment en ce qui concerne une remise en cause des enseignements de l’école républicaine, comme l’assure Me Rossignol. « Ils peuvent être très conservateurs sur le plan des mœurs, ce qui peut effectivement mettre mal à l’aise une institution très areligieuse comme l’école, estime-t-elle.
Madame Rossignol (ancienne ministre) sur France Inter fait l’amalgame entre les islamistes intégristes et les évangélistes qui font un travail aussi nocif que les islamistes ! Être anticlérical n’autorise pas à diffamer et à calomnier le christianisme
— Thierry LE GALL (@spparlementaire) 15 octobre 2019
Du côté du ministère de l’Education nationale, on nous indique que « les atteintes à la laïcité ne sont pas classées par religion ». Seules des données globales existent : les fameux 900 cas remontés sur le dernier trimestre et évoqués ces derniers jours dans les médias. Parmi eux, 61% sont du fait des élèves, 19% de la part des parents. Sans parler d’une confession religieuse en particulier, le ministère souligne : « 900 cas sur 12 millions d’enfants scolarisées, cela reste très minoritaire ». « Pour chaque cas, un suivi auprès des élèves et des parents est effectué », ajoute-t-il.
Les contestations d’enseignement oscillent entre 11 et 20% des signalements, depuis avril 2018.
900 cas de signalements d’atteintes à la laïcité enregistrés par les équipes académiques Valeurs de la République d’avril à juillet 2019 (Ministère de l’Education Nationale et de la Jeunesse)
Les évangéliques se défendent d’ailleurs de vouloir contourner l’école publique : « Nous n’avons pas une culture de l’entre-soi, au contraire, nous prônons le vivre-ensemble et les valeurs républicaines ». Et le développement des écoles confessionnelles serait, selon Romain Choisnet, « anecdotique ». L’association des établissements scolaires protestants évangéliques francophones (AESPEF) comptabilise sur son site internet 32 écoles membres en France.
Des dérives, à la marge, existent cependant. Le comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation nous a affirmé ne pas avoir de « données diffusables sur ce phénomène », tout comme la Police nationale. Mais la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) rapporte dans son rapport d’activité 2016, 212 comportements inquiétants de dirigeants de groupes évangélistes et pentecôtistes (et 195 en 2015), quand l’islam rigoriste, le salafisme et la radicalisation djihadiste représente 36 signalements (60 en 2015).
« Quelques églises évangéliques, non affiliées au Conseil national des évangéliques de France (le CNEF qui rassemble plus de 70 % des églises évangéliques) et des petites églises pentecôtistes, le plus souvent créées par des pasteurs auto-proclamés, font craindre de graves dérives (…). Discours millénariste, recours fréquent à l’exorcisme, mise en scène spectaculaire du pouvoir miraculeux du fondateur, création d’émotions collectives en sont les marqueurs. Ils provoquent chez certains adeptes des états d’hystérie et des traumatismes. Au-delà du risque sectaire, le repli communautaire et la vision apocalyptique véhiculés par les discours de ces pasteurs est une menace pour la cohésion de la société », rapporte la Miviludes.