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France : les évangéliques exclus des auditions sur la bioéthique à l'assemblée nationale

C’est l’un des moments attendus du processus législatif sur la bioéthique. La commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi reçoit aujourd’hui les représentants des cultes. En novembre 2012, les députés avaient reçus six représentants religieux pour entendre leur position sur le mariage entre personnes de même sexe. Cette année, ils ne seront que trois : Haim Korsia, Grand rabbin de France, Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes et responsable du groupe de travail des évêques de France sur la bioéthique, et François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France (FPF).

L’audition se déroulera en l’absence d’un porte-parole musulman. Assurant provisoirement la présidence du Conseil français du culte musulman (CFCM), depuis la fin du mandat d’Ahmet Ogras en juillet dernier, Dalil Boubakeur, recteur de la Grande mosquée de Paris, a bien été invité par la commission, mais « il n’a pas répondu », indique-t-on à l’Assemblée nationale. « Ce n’est pas dans son agenda », confirme la Grande mosquée de Paris. L’attente de nouvelles élections pour la composition du CFCM, prévues en octobre, serait la cause de ces atermoiements. « Déjà, lors des auditions de la mission d’information sur la politique familiale, les représentants musulmans invités ne s’étaient pas présentés », se souvient un député La République en marche (LREM), actuellement membre de la commission spéciale sur le projet de loi bioéthique. En novembre 2012, c’était Mohammed Moussaoui, issu de la communauté musulmane française d’origine marocaine, qui avait présenté aux députés l’opposition du CFCM au mariage homosexuel. Néanmoins, Slimane Nadour, directeur de la communication de la Grande mosquée de Paris, assure ce matin à La Vie que Dalil Boubakeur sera entendu ultérieurement par les députés, à une date encore non fixée. « Le recteur est médecin, il a des choses à dire sur le sujet », explique-t-il.

Les évangéliques non conviés

Les autres cultes n’ont pas été invités. C’est le cas des protestants évangéliques, majoritairement rassemblés dans le Conseil national des évangéliques de France (CNEF). En avril dernier, le CNEF s’était élevé contre « la fabrication d’enfants pour satisfaire des couples socialement stériles », en dénonçant la légalisation de la procréation médicalement assistée (PMA) pour les couples de femmes et les femmes seules, qui fait partie du projet de loi relatif à la bioéthique. Le Comité protestant évangélique pour la dignité humaine, très actif sur les questions bioéthiques, a également pris position contre l’extension de la PMA. Il n’a pas été convié aux auditions du 27 août, donnant la parole à des organisations hostiles au texte : la Confédération nationale des associations familiales catholiques, Alliance Vita et La Manif Pour Tous.

Contactée par La Vie sur la non-invitation des évangéliques, la présidente de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique, la députée (Groupe UDI et indépendants) de Seine-Maritime Agnès Firmin-Le Bodo, invoque le « temps contraint » qui était celui des parlementaires, tout en rappelant que les évangéliques avaient été auditionnés lors de la mission d’information parlementaire sur la révision des lois de bioéthique, fin 2018. « La possibilité de nous donner une contribution écrite est ouverte », ajoute-t-elle.

Ce n’est ni un boycott, ni de l’ignorance, mais un choix stratégique, et une posture assumée

« Je ne crois pas à un oubli », juge le pasteur Thierry Le Gall, directeur du Service pastoral du CNEF auprès des parlementaires, « l’aumônerie » évangélique du Parlement. « J’ai rencontré un certain nombre de parlementaires dans le cadre des États généraux de 2018, en particulier Gilles Le Gendre, président du groupe LREM : il s’était engagé personnellement à nous recevoir, et il semblait intéressé de nous entendre dans notre spécificité protestante évangélique », raconte-t-il, ne cachant pas sa déception. « Ce n’est ni un boycott, ni de l’ignorance, mais un choix stratégique, et une posture assumée », regrette le pasteur.

« Cela n’intéresse pas LREM d’entendre des courants conservateurs », résume un responsable évangélique sous couvert d’anonymat, qui estime le débat joué d’avance. «Tous les messages du gouvernement vont dans le sens d’une libéralisation de la PMA, ils ne veulent pas perdre leur temps ». Cet interlocuteur est sceptique sur la capacité de résistance contre ce projet de loi : « C’est un mouvement de fond occidental, et ce ne sont pas les évangéliques qui vont faire la différence. Notre poids sociétal n’est pas suffisant, même si nous veillerons à ce que la liberté de conscience soit garantie aux Églises, et à toutes les religions ». Toutefois, le pasteur Thierry Le Gall prévient qu’il ne faut pas balayer d’un revers de la main les citoyens français de confession protestante évangélique. « Nous approchons du million d’évangéliques pratiquants en France et en Outre-mer, et cela ne fait qu’augmenter. Ce sont autant d’électeurs sur lesquels il faudra compter ! Le CNEF est apolitique et ne donnera aucune consigne de vote, mais les sujets bioéthiques sont importants pour nous », conclut-il.

Crée en 2011, le CNEF avait appelé à manifester contre le mariage homosexuel en 2013. « A l’époque, nous avions été reçus à l’Elysée grâce à Bernard Poignant, conseiller de François Hollande », révèle Thierry Le Gall. Pour mieux faire connaître les évangéliques auprès des pouvoirs publics, le CNEF a mené un patient travail de visibilité et d’institutionnalisation. Le Service Pastoral auprès des Parlementaires, établi en 2016, en est la fine pointe. « Un cap a été passé », se félicite le pasteur. Le 25 septembre 2017, lors de son discours saluant les 500 ans de la Réforme protestante, à l’Hôtel de Ville de Paris, le président de la République Emmanuel Macron prend soin de mentionner, sur un plan d’égalité, le CNEF et la Fédération protestante de France (FPF).

La FPF, seul porte-parole protestant

C’est donc la FPF seule qui parlera au nom des protestants lors de l’audition parlementaire. Ce qui n’est pas sans raviver les tensions internes au protestantisme français. Instituée en 1905, la FPF est historiquement liée aux Églises luthériennes et réformées (calvinistes), dont la théologie dominante actuelle est libérale, y compris en matières de mœurs. Beaucoup d’évangéliques ne s’y retrouvant pas, ils ont suscité l’émergence du CNEF, même si certaines de leurs Églises vivent une situation de double appartenance : Claude Baty, président de la FPF de 2007 à 2013, était pasteur de l’Union des Églises évangéliques libres de France, membre du CNEF. L’actuelle vice-présidence de la FPF, la théologienne Valérie Duval-Poujol, est baptiste. Au sein de la FPF, coexistent ainsi une sensibilité évangélique et une tradition protestante libérale. Auditionné une première fois sur le sujet à l’Assemblée nationale, le 30 octobre 2018, son président François Clavairoly avait déclaré « possible d’admettre » l’ouverture de la PMA aux femmes célibataires et aux couples de femmes. Cependant, en mars 2019, la Commission éthique et société de la FPF a indiquée être « réticente » à cette extension. Reste ce que dira aujourd’hui François Clavairoly aux députés.

Au sein de la FPF, coexistent ainsi une sensibilité évangélique et une tradition protestante libérale

Outre, les évangéliques, les chrétiens orthodoxes, estimés à 500 000 en France, et dont la doctrine en matière familiale est proche de celle des catholiques et des évangéliques, ne seront pas représentés lors de l’audition. En novembre 2012, le métropolite Joseph, du Patriarcat de Roumanie, délégué par l’Assemblée des évêques orthodoxes de France, avait argumenté contre le mariage homosexuel. Quant aux bouddhistes, dont le nombre oscille, selon l’Union bouddhiste de France (UBF), entre 500 000 et 1 million de fidèles, ils ne seront pas là non plus. Conviée en novembre 2012, la Vénérable Marie-Stella Boussemart avait suggéré la convocation d’un référendum sur le mariage homosexuel.

Il n’y aura donc que trois cultes représentés aujourd’hui à l’Assemblée nationale. En revanche, outre la Fédération nationale de la libre pensée – dont les statuts désignent « les religions comme les pires obstacles à l’émancipation de la pensée », pas moins de six obédiences maçonniques sont attendues le même jour, après l’audition des religieux : la Grande Loge mixte de France, le Grand Orient de France, la Fédération française de l’Ordre maçonnique mixte international Le Droit Humain, la Grande Loge de France, la Grande Loge féminine de France, l’Association philosophique française Le Droit Humain, et la Grande Loge nationale française. Tous ces courants philosophiques n’avaient pas été sollicités pour les auditions sur le mariage homosexuel.

source : lavie.fr