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Les couples islamo-chrétiens ne sont plus interdits en Tunisie

Pour le Groupe des foyers islamo-chrétiens (Gfic), qui fêtait samedi ses 40 ans à Paris, c’est « une digue qui a sauté ».

« Extraordinaire », « fantastique », « un signe d’espoir », de « modernité »… Simplement « amoureux », fiancés ou déjà mariés, voire parents ou grands-parents, les couples islamo-chrétiens n’ont pas assez de mots pour commenter la décision du président tunisien, Beji Caïd Essebsi, d’autoriser les Tunisiennes – supposées musulmanes – à épouser des étrangers – supposés non-musulmans. La décision a été annoncée le 14 septembre. Le Groupe des foyers islamo-chrétiens, qui fêtait samedi ses 40 ans au Collège des Bernardins à Paris, y voit une heureuse coïncidence.

Les plus anciens n’ont qu’un seul regret : qu’elle n’ait pas été prise plus tôt. « C’est quand même fou d’avoir attendu 2017 pour faire un tel pas », remarque Pierre, dont le mariage avec une Algérienne n’est pas reconnu dans son pays (1). « Pas trop tôt », appuie Leïla, mariée à Antoine depuis quatre ans.

La promesse de pouvoir marcher « main dans la main dans la rue »

Les plus jeunes, eux, nourrissent tous les espoirs. Amoureux d’une jeune Tunisienne qui vit, avec sa famille, de l’autre côté de la Méditerranée, Baptiste l’avoue : il a « pleuré de joie toute la journée » lorsqu’il a appris la nouvelle. Le jeune homme rêve de pouvoir « marcher côte à côte dans la rue » avec sa bien-aimée et se félicite que « l’officier d’état civil soit désormais obligé de reconnaître » leur éventuel mariage.

Même si le chemin risque d’être long… « Sa famille est très traditionnelle », soupire-t-il, en racontant ces échanges sur Internet au cours desquels son amie lui a listé « tous les arguments tirés du Coran » démontrant que leur amour est impossible.

De fait, l’interprétation ultra-majoritaire autorise un musulman à épouser une non-musulmane, mais non l’inverse. Cette question de la « légalité » d’un mariage entre une musulmane et un non-musulman est donc l’une de celle qui revient le plus dans les café-couple du Gfic.

« Nous, les hommes musulmans, subissons la pression familiale, et souvent aussi les réticences de notre belle-famille catholique. Mais pour les femmes musulmanes, la pression est multipliée par je-ne-sais-combien à cause de cet interdit religieux », reconnaît Adel.

La fin des « conversions de convenance » ?

Certains, qui – comme Matthieu – ont accepté ce qu’ils appellent « une conversion de convenance », mesurent particulièrement l’avancée. Pour faire reconnaître son mariage en Tunisie, il s’est plié à la procédure locale : envoi d’un dossier, puis convocation – avec quelques autres Français comme lui – devant le grand mufti de la mosquée de la Zeitouna à Tunis, visiblement « pas dupe ».

« On récite la chahada, cela dure peut-être 20 mn en tout », se souvient Matthieu. « Je l’ai vécu comme une simple démarche administrative, mais l’ensemble n’est pas très agréable. »

À lui et aux autres, l’intervention, samedi, de l’imam d’Ivry-sur-Seine, Mohamed Bajrafil, a mis du baume au cœur. Ce jeune imam, spécialiste de fiqr (droit musulman), a affirmé que « l’interdit » d’un tel mariage, intériorisé par une immense majorité de savants comme de fidèles, repose sur une fausse interprétation du Coran.

Une prise de position « incroyable », pour les responsables de l’association, qui se souviennent de leur « déception » lors de rencontres à ce sujet avec différents imams il y a trois ou quatre ans…

Lutter contre le patriarcat

Quel sera l’impact de cette annonce historique ? Lorsqu’elle a appris la nouvelle, Saloua, musulmane, en couple avec Jérémy, catholique, a vu là l’argument idéal pour « convaincre sa mère », restée au Sénégal : « Pour le moment, nous n’avons échangé que des messages. Mais quand je lui en ai parlé, elle m’a répondu : ‘‘et alors, tu es tunisienne ?’’ » Au-delà de la décision politique, ce sont les mentalités qui doivent changer, et les jeunes couples savent à quel point ce peut être dur pour leurs parents…

« J’attends de voir comment se sera appliqué dans les faits, si l’administration suivra », répète aussi Leïla. « Ce n’est pas le début d’un processus mais une étape de plus, soixante ans après l’adoption du code du statut personnel, et après des mesures sur la répudiation, la polygamie, le divorce », répond Manel, tunisienne elle aussi, qui prépare son mariage avec Florent.

« Quand ça bouge, c’est en Tunisie ! Aujourd’hui, il ne reste que la question de l’héritage à régler pour asseoir l’égalité entre hommes et femmes : c’est le dernier bastion du patriarcat sous couvert de religion. »

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Des couples mixtes, de part et d’autre de la Méditerranée

Le 13 août, jour de la fête de la femme, le président tunisien Béji Caïd Essebsi a annoncé son souhait d’instaurer l’égalité successorale entre hommes et femmes dans son pays, ainsi que de lever l’interdiction des mariages entre Tunisiennes et étrangers. Le 14 septembre, la porte-parole de la présidence a annoncé que la circulaire de 1973 qui interdisait ces derniers a été « retirée ».

« Afin de mieux vivre leurs différences culturelle et religieuse, des couples islamo-chrétiens ont éprouvé le besoin de se retrouver. Depuis 1977, ils se réunissent afin de réfléchir à leur engagement de couple, de mettre en commun leur expérience, et approfondir leur foi. » Ainsi est né le « Groupe des foyers islamo-chrétiens », qui organise un grand rassemblement à la Pentecôte et des « cafés-couple » au fil de l’année.

Anne-Bénédicte Hoffner

(1) Certains prénoms ont été changés.

source : https://www.la-croix.com/Religion/couples-islamo-chretiens-sont-interdits-Tunisie-2017-10-02-1200881179