des-manuels-scolaires-outils-de-propagande-5568544
Accueil » Actualités » Corée du Sud : le pasteur qui sauve les réfugiés du Nord

Corée du Sud : le pasteur qui sauve les réfugiés du Nord

Le pasteur Chun Ki-Won n’a jamais cessé. Cesser de sauver des vies. Celles de Nord-Coréens assez courageux ou fous pour fuir la dictature de la lignée des Kim Jong. Ce jour-là, le révérend est assis sur un canapé, dans les locaux de son église, à Séoul. Les coupures de presse encadrées qui habillent les murs de la pièce, témoignent de sa foi et de son obstination.

Mais lui, ce qu’il préfère, c’est ce petit sac en plastique gris à l’allure barbouillée par de multiples manipulations, et qu’il garde précieusement sur un coin de son bureau déjà bien encombré. Il détient la vérité, celle qui se passe de l’autre côté, chez le voisin nord-coréen, là où la folie a pris le pas depuis longtemps sur une idéologie socialiste qui, paraît-il, voulait le bien d’un peuple.

Deux manuels scolaires, outils de propagande

Que contient ce sac? Des trésors d’un autre temps? Non, le pasteur Chun de la mission Durihana, est catégorique. « Ils sont encore distribués dans les écoles aujourd’hui. » Ce sont des manuels scolaires. L’un enseigne les mathématiques ; l’autre, la musique. L’un de couleur jaune symbolise l’été, l’autre avec une cabane sous la neige et sur fond vert, représente l’hiver. Les livres lui ont été donnés par un élève de primaire, il y a quelques années et ils seraient donc encore d’actualité.

Des manuels scolaires, outils de propagande.

(DR.)

Les maths ressemblent aux nôtres. Addition, multiplication et division. Mais en Corée du Nord, on se fiche un peu des nombres, on préfère les symboles. Tant de soldats américains tués soustraits, divisés ou additionnés aux morts nord-Coréens. L’important, c’est de marteler qu’un Américain mort relève de la bonne réponse. Pour la musique, c’est un peu le même refrain. On voit une charmante fillette entonner une chanson avec des paroles qui en disent long. « Allons tuer les Japonais ou encore que l’Amérique aille se faire voir. »

« J’ai grandi avec cette idée que nos voisins n’étaient pas des humains mais des créatures de l’enfer »

Le pasteur contemple ces deux ouvrages, avec la même tristesse effarée que lorsqu’il les a eus en main, la toute première fois. Ils sont la preuve vivante de la lutte, du combat qu’il mène depuis les années 1990 contre le régime de Pyongyang. Il a aidé plus d’un millier de fugitifs. Ensemble, ils ont souvent traversé la Chine, le Laos, la Mongolie ou la Thaïlande. Le combat de toute une vie. Seul. Même sa famille, ses enfants, se moquent du destin des Nords-Coréens. « Qui prendra la relève lorsque je ne pourrai plus », murmure-t-il. Pasteur Chun range ces trésors de propagande honnie dans ce sac vénéré. Il sait qu’il les montrera encore et toujours. Ils sont pour lui la Vérité d’une dictature implacable faîte de folie et de cruauté. Qu’il faut combattre jusqu’au dernier souffle. Le sien.

Le déclic : le cadavre d’une femme

Rien ne prédestinait Chun à un tel destin. Il est né dans le sud-est de la Corée du Sud, dans un petit village où lorsqu’il était enfant, il n’y avait ni eau, ni électricité. Jamais le sort des voisins nord-Coréens n’est évoqué dans la maisonnée qu’il qualifie de classe-moyenne. « J’ai grandi avec cette idée que nos voisins n’étaient pas des humains mais des créatures de l’enfer. » D’ailleurs ses débuts dans la vie, lorsqu’il quitte ses parents, sont ceux d’un petit businessman ordinaire qui tente de faire des affaires avec la Chine. « Je m’étais rendu à Hunchun, dans le nord du pays avec pour ferme intention d’ouvrir un petit hôtel. J’avais loué une voiture avec chauffeur et puis en chemin, je me suis rendu compte qu’au niveau de Juche Tower, on apercevait la frontière nord-coréenne. J’ai descendu la colline afin de prendre une photo. »

Mais il tombe sur une paire de chaussures. Bizarre. Elles semblent attachées à quelque chose. En réalité, ce quelque chose est un corps de femme. « Le cadavre était rigide et tout le monde s’en fichait. Le chauffeur m’a dit qu’elle venait sûrement de la Corée du Nord. Il y en avait plein qui essayaient par ici et qui mourraient. Il semblait complètement indifférent à cet état de fait ». Plus tard, un documentaire sur la vie du révérend sera tourné et il s’intitulera The Frozen Lady, en mémoire de cette personne, inconnue.

Une vie de James Bond

Quelques jours plus tard, une autre scène fondatrice. Il se trouve à la gare. Des enfants traînent et mendient. Il les prend pour des Sud-Coréens. Il leurs jette quelques pièces. Mais des policiers chinois surgissent immédiatement et les frappent avec des bâtons. Une petite fille est même lourdement blessée à l’oreille. Chun découvre les « kotjebi » (les orphelins de Corée du Nord). Au même moment, au marché, une femme hurle alors qu’elle est en train de se faire kidnapper par des gars surgis de nulle part. « Là encore, j’ai demandé à mon chauffeur. Il m’a répondu : ‘Ce n’est pas illégal de kidnapper des Nord-Coréennes en Chine parce qu’elles n’ont aucun papier.' »

« Je me suis retrouvé avec deux personnes à faire sortir en ayant pas le début d’une idée de comment faire »

Ce sera la révélation pour Chun qui, une fois rentré au pays, se convertit au christianisme, devient le Pasteur Chun et fonde l’église Durihana. Désormais, lorsqu’il retourne dans l’Empire du Milieu, c’est pour prêcher la bonne parole du Christ. Ce sont deux corps sans vie, des orphelins à la gare de Tuen et une femme qui hurle sa douleur qui le font de nouveau basculer. « Avec mon équipe, nous avons essayé de la sauver en payant une rançon d’environ 300 dollars mais tandis que nous discussions le tarif, elle a disparu. Tout ressemblait à un scénario de film. » Il ne sait pas encore que sa propre vie va prendre des allures de James Bond. Parce qu’il a trouvé sa voie, il va sauver des gens. Il sera passeur.

Son premier sauvetage a lieu dans les années 2000. Il fait la connaissance d’un transfuge dont la mère est coincée en Chine. Il ne désespère pas de la faire venir. Il s’adresse au pasteur. « Je lui ai dit, oui, sans imaginer une seule seconde dans quoi je m’embarquais. » Grâce à un donateur, il réunit la somme nécessaire pour payer le « broker » (intermédiaire) et le transport. Et puis un autre transfuge se manifeste. Il vit à Hong-Kong. Sa fille se trouve en Chine, il veut la faire venir. « Voilà, je me suis retrouvé avec deux personnes à faire sortir en ayant pas le début d’une idée de comment faire. Alors, je suis allé en Chine, j’ai acheté une carte, trouvé une route via le Cambodge et le Vietnam. J’ai réussi et quand je l’ai expliqué aux autorités de mon pays, ils m’ont accusé de mentir. ‘Impossible, ont-ils dit, la route entre la Chine et le Vietnam est truffé de policiers et de cobras. Celle entre le Vietnam et le Cambodge de mines.' » Pour la plupart des gens, cette fuite réussie relevait de la chance, pour lui, elle est apparue comme un signe de Dieu. « Plus tard, j’ai accompagné vingt Nord-Coréens via le désert de Mongolie. C’était devenu ma priorité numéro 1. »

Les femmes plus nombreuses que les hommes à quitter la Corée du Nord

« Il est vrai que depuis deux ou trois ans, le nombre de gens qui fuyait la Corée du Nord avait tendance à diminuer, concède le pasteur. Mais depuis le début de 2019, le chiffre est reparti à la hausse. On associe ce changement à Kim Jong-un. Et au fait que les habitants connaissent de plus en plus ce qui se passe à l’extérieur des frontières. » On compte quelques 32.000 transfuges de Corée du Nord. A une époque encore récente, cela correspondait à quelques 2.000 arrivées par an. Ce n’est en effet plus le cas.

« Maintenant, tout transite par la Chine »

Ji-yoon Lee, coordinatrice chez « Alliance for Northern Korean Human Rights, le confirme : « Le chiffre est en baisse. Les femmes constituent à 80% le groupe de Nord-Coréens qui fuient désormais le pays. Malheureusement, elles échouent souvent en Chine où des passeurs leurs promettent des mariages fantastiques avec des citoyens chinois. En réalité, elles se retrouvent souvent dans le fin fond du pays, sans papier, souvent séparées de leurs enfants et dans l’impossibilité absolue de se défendre  et encore moins de s’enfuir à nouveau. »

La mission du pasteur Chun a ainsi évolué. Il n’est plus celui qui franchit les frontières et accompagnent les fuyards pour les guider vers la liberté. « J’utilise des ‘brokers’ qui négocient les prix avec les passeurs. C’est devenu un véritable business. Avant, on pouvait même aller chercher les gens directement, en Corée du Nord. Maintenant, tout transite par la Chine. » Les fugitifs s’y installent désormais souvent. Parfois, contraints, comme les femmes. « La société chinoise a beaucoup changé, poursuit le pasteur, tout est digital, et ces femmes n’ont aucune identité, ne peuvent même pas acheter un téléphone, elles sont donc prisonnières mais dans un autre pays. »

Le « choix de Sophie »

Le coeur de la mission a par conséquent également bougé. Désormais, Durihana s’occupe de l’intégration des Nords-Coréens, en Corée du Sud. Elle accueille une soixantaine d’enfants (8 à 18 ans) que les équipes volontaristes du pasteur se chargent d’éduquer, soigner et d’abriter. La mission se compose de trois corps de bâtiment. L’un d’entre eux, situé à quelques encablures de l’église et des bureaux, a été transformé en habitation. On compte huit lits superposés. Ce jour-là, Esther Park, une jeune Canado-Coréenne, tente de convaincre les adolescentes qui se sont enfermées dans leur chambre de bien vouloir ouvrir.

« La porte ne doit jamais être verrouillée », glisse-t-elle, en souriant et vaguement inquiète. Finalement, une jeune fille de 16 ans, un peu ronde et très mécontente de devoir lâcher sa console, finit par glisser une tête. On apprend que la demoiselle emplie de colère, a été lâchée par sa mère qui a dû choisir entre elle et un mari, une fois arrivée en Chine.

« Les femmes sont souvent obligées de choisir : quel enfant vont-elles laisser derrière elles? »

Esther Park confirme que dans beaucoup de cas, il y a une histoire tragique, un double abandon, un côté « choix de Sophie ». « Les femmes sont souvent obligées de choisir : quel enfant vont-elles laisser derrière elles, parce incompatible avec une nouvelle vie en Chine. » Une autre ado passe le seuil de sa chambre. Le côté droit de son visage est traversé d’une grande balafre. « Le compagnon de sa mère, un Chinois, avait essayé de la tuer ».

Destins fracassés, brisés, en miette, ces enfants ont du mal à s’adapter. Tout est difficile. Et les Sud-Coréens ne les accueillent plus autant avec enthousiasme. Et lui le pasteur Chun, croit-il encore en sa mission? Il sursaute. « Oui! Quand j’étais jeune, j’étais naïf, c’est sûr. Maintenant, j’ai une meilleure idée de ce que veut dire tout ça mais j’ai l’intime conviction d’être encore dans le vrai, le juste. J’ai été appelé par Dieu pour cette mission. » A 63 ans, celui qui a la coquetterie de mettre ses lunettes le moins souvent possible, se ronge pourtant les sangs. En août prochain, le propriétaire des lieux les met dehors, dans le cadre de la gentrification du quartier. Il a moins de deux mois pour trouver de nouveaux locaux sinon les enfants qu’ils accueillent, seront une nouvelle fois abandonnés…

source : lejdd.fr